Les élèves de l'école Koechlin rencontrent l'historienne Marie-Claire Vitoux
- Jean-Luc Wertenschlag
- il y a 3 heures
- 31 min de lecture
au cours du 18e siècle, Mulhouse a pu faire venir du coton (des Etats-Unis, d’Egypte) et le coton est devenu la matière première principale.Dans le cadre de "Mulhouse 800 ans d'histoires", deux classes de CE2 et de CM2 de l'école Koechlin ont rencontré l'historienne Marie-Claire Vitoux et son éditeur Philippe Schweyer. Un échange passionnant qui permet de mieux comprendre Mulhouse aujourd'hui en passant par le passé. Et grâce à la pédagogie de Marie-Claire et Philippe qui s'adressent à des enfants de 8 à 11 ans, tout le monde peut comprendre.
Entretien réalisé le 6 mars 2025 à l'école Koechlin rue de la 4ème division marocaine de montagne, à Mulhouse. Une coproduction Radio WNE menée avec Raphaëlle Vierling et Noémie Michelet, professeures des écoles. Avec le soutien de la ville de Mulhouse et de "Mulhouse 800 ans d'histoires".

Bonjour, pouvez-vous vous présenter ?
Oui, très volontiers. Alors, je m'appelle Marie-Claire Vitoux. Je précise tout de suite que j'ai 70 ans, ce qui veut dire que je pourrais être votre grand-mère, voire même votre arrière-grand-mère. C'est juste pour se placer dans le temps. Et donc, je ne suis pas née à Mulhouse. Je viens du sud de la France, je viens de Montpellier, près de la mer Méditerranée. Mais ça fait presque 50 ans que j'habite à Mulhouse maintenant. Et j'ai été historienne, c'est-à-dire j'ai enseigné l'histoire-géographie 10 ans en collège. Ensuite, j'ai enseigné 5 ans l'histoire-géographie en lycée et à peu près 25 ans à l'université.

Merci. Alors, qu'est-ce qu'il y avait à Mulhouse avant les remparts ?
[Marie-Claire Vitoux]
Donc, vous avez un peu travaillé sur les 800 ans de Mulhouse. Avant, il y avait une sorte de gros village, si on veut. Les premiers habitants qui sont venus s'installer dans la région de Mulhouse, ne se sont pas installés sur la place centrale de Mulhouse. Je pense que vous vous êtes déjà promenés, rue du Sauvage, dans les magasins du centre de la ville. Et bien, les premiers habitants ne se sont pas du tout installés là, ils se sont installés dans les collines. Est-ce que certains d'entre vous connaissent le magasin Ikea ? Eh bien, quand on a construit le magasin Ikea, on a fait ce qu'on appelle des fouilles archéologiques, c'est-à-dire qu'on a creusé, et on a trouvé des fermes qui dataient de l'époque de ce qu'on appelle les gallo-romains, c'est-à-dire le premier et le deuxième siècle après Jésus-Christ. C'était les premiers habitants de Mulhouse, ils habitaient sur les collines. Pourquoi sur les collines ? Parce que comme ça, ils pouvaient voir arriver les ennemis correctement et ils pouvaient donc se protéger. Et il suffisait qu'ils descendent un tout petit peu pour aller chercher l'eau, au bas de la colline. Quelques dizaines d'années après, ils ont commencé à à installer leur village à la place de la Réunion actuelle, là où il y a la place centrale de Mulhouse. Au départ, il n'y a pas de rempart, il y a juste des grosses fermes les unes à côté des autres. C'est seulement en 1224 qu'on construit les remparts. Les villageois font de l'agriculture, ils produisent de quoi manger, mais ils font aussi des tissus pour s'habiller et qu'ils vendent. Donc là où ils sont, il y a aussi des commerçants, c'est-à-dire des gens qui vendent du grain, des tissus, des chevaux, des vaches, des cochons. Et Mulhouse est d'abord un gros village avant qu'on construise les remparts.

D'où vient le nom de Mulhouse ?
[MC Vitoux]
Le nom de Mulhouse vient du vieil allemand, dans une langue vieille allemande. C'est Mühlen, c'est-à-dire les moulins, et Hausen, les maisons. Donc, ça veut dire les maisons du moulin. Vous avez un vieux plan là-bas derrière de Mulhouse, vous voyez ? Et alors, pour ceux en particulier qui sont en CM2, vous voyez que là où il est comme il est représenté, le nord est en bas au lieu normalement d'être en haut. Donc je dirais que cette représentation de Mulhouse est "cul par-dessus tête", comme on dit. En fait, la ville s'est installée à un endroit extrêmement plat. C'est vraiment la plaine, si vous prenez votre vélo ou si vous vous promenez dans Mulhouse il n'y a vraiment pas de pente. Il y avait en fait la rivière qui venait et qui entrait dans Mulhouse. Et cette rivière, et en particulier les canaux qui entouraient les remparts, faisait tourner des moulins. Est-ce que vous avez déjà vu des représentations de moulins ? Oui ? Donc vous savez, c'est une espèce de roue qui tourne avec la force de l'eau et qui peut écraser les grains, ou écraser les olives, les écraser pour faire de l'huile ou pour faire de la farine. Et comme Mulhouse avait énormément de ces moulins, son nom veut dire les maisons du moulin. Et la première fois qu'on lit ce nom-là, le nom Mulhouse, qu'on le lit dans des documents anciens, dans des papiers anciens, c'est en 803 pour la première fois, on voit apparaître le nom de Mulhouse, les maisons du Moulin.
Savez-vous pourquoi les maisons sont colorées ?
[MC Vitoux]
Ah, c'est une bonne question ça. Tu fais allusion à la couleur comme par exemple ce jaune ou ce rouge ? Ou tu fais allusion aux dessins, il y a beaucoup de dessins qui sont peints, c'est à ça que tu penses ? C'est les murs peints ou c'est les façades ? D'abord, Mulhouse est construit en pierre calcaire. On a peint les premiers bâtiments en rouge, plus rarement en bleu, mais disons en bleu, en rouge, en jaune. Au Moyen-Âge, il n'y avait pas beaucoup de couleurs. Les premières maisons qu'on a peintes, c'était les maisons du pouvoir, la mairie, celles où il y avait les gens riches et où il y avait le pouvoir. Pour ne pas les laisser grises on leur mettait des couleurs. Et puis, des habitants qui ont commencé à avoir un petit peu plus d'argent, se sont dit, mais pourquoi moi aussi, j'aurai pas une maison colorée ? Parce que c'est quand même plus joli et plus gai. Et donc, ils ont payé pour rajouter de la couleur aux maisons. Et après, de façon assez récente, on a commencé à mettre des dessins, pas simplement de mettre de la peinture comme le jaune qu'il y a ici, mais à dessiner des personnages. Par exemple, place de la Réunion à la place centrale de Mulhouse, si vous regardez ce qu'on appelle l'hôtel de ville, la mairie, il y a plein de personnages qui sont représentés... C'est pour dire que c'est là qu'il y a les gens qui gouvernent la ville. Donc, c'est montrer qu'on a de l'argent et surtout qu'on a le pouvoir. Voilà.
Les premières maisons qu'on a peintes, c'était les maisons du pouvoir, la mairie, celles où il y avait les gens riches et où il y avait le pouvoir.
Autre question. Pourquoi l'usine DMC a-t-elle été abandonnée ? Va-t-elle être réhabitée ? Merci.
[Marie-Claire Vitoux]
Est-ce que vous savez ce que veut dire DMC ? Ça renvoie au nom du fondateur, celui qui a créé l'usine en 1800. En 1800, il s'appelait M. Dollfus-Mieg. Donc DMC, c'est Dollfus-Mieg, le nom du fondateur, et Compagnie. DMC a été créé en 1800, c'était une usine qui fabriquait du textile, mais pas n'importe lequel. Est-ce que vous avez une idée comment on fait ? Qu'est-ce qu'on avait comme matière ? Comment est-ce qu'on faisait le tissu ? On avait la laine des moutons, on avait des plantes, qu'il fallait assouplir dans l'eau pour pouvoir les tricoter en quelque sorte. Et c'était le lin et le chanvre. Au cours du 18e siècle, Mulhouse a pu faire venir du coton (des Etats-Unis, d’Egypte) et le coton est devenu la matière première principale. Et la première chose qu'on fait, avec la laine, le coton ou avec ces herbes, c'est d'abord en faire du fil. C'est ce qu'on appelle une filature. Donc, on fait le fil. Ensuite, il faut faire le tissu. Et après, il faut découper le vêtement. Cette usine DMC faisait tout. Le fil, puis le tissu, et après, elle imprimait des couleurs dessus, des oiseaux, des fleurs, etc. Et après, elle pouvait découper les habits. Ça nécessitait énormément d'ouvriers. Bon. Et puis, quand je suis née, donc il y a à peu près 70 ans, on a commencé à dire, oh, la laine, il faut tondre les moutons, le lin, le chanvre, il faut les faire tremper dans l'eau. Pourquoi est-ce qu'on ne créerait pas, avec de la chimie, du pétrole, des matières, du tissu ? Et à ce moment-là, DMC n'a pas su faire. Et l'entreprise s'est écroulée. À partir de ce moment-là, il n'y a presque plus d'ouvriers à DMC. Vous savez ce que produit encore DMC ? Ils font du fil à coudre et des fils pour les bracelets brésiliens, les bracelets qu'on fait en tissu. C'est DMC.

Est-ce que DMC va être reconstruit ?
[Marie-Claire Vitoux]
Il est à peu près certain qu'il n'y aura plus d'industrie textile qui fabrique des tissus. Ça ne reviendra plus, c'est fini. Par contre, la mairie est en train de penser à en faire un nouveau quartier, c'est-à-dire avec des magasins, des habitations, des logements, des écoles, un collège, etc. Donc, ça pourrait devenir, vous le verrez quand vous serez un peu plus grand, un nouveau quartier de Mulhouse. Mais il n'y aura pas de retour de l'entreprise textile. Pourquoi ? Ce qu'on appelle les textiles, c'est-à-dire les tissus, que vous utilisez, les vêtements que vous portez, c'est de la chimie, c'est produit par la chimie, c'est beaucoup moins cher que ce que faisait DMC. Et donc, si tu veux, en admettant que tu remettes DMC en activité, l'usine produirait des tissus qui seraient beaucoup trop chers, que personne n'achèterait. Donc il n'y a personne pour aller perdre de l'argent en fait pour ça. Il faut vraiment trouver une autre activité à ce quartier. Pour te donner une idée, actuellement il reste à peu près 250 ouvriers à DMC. 250 personnes qui font le fil à coudre DMC, les boutons, etc. Peut-être que vos mamans en ont. Il y a 70 ans, il y en avait 3000. 3000 et maintenant il y en a 250. On ne pourra jamais recréer une usine qui donnera du travail à 3000 personnes dans le textile. Ce n'est pas possible. Il y avait 3000 personnes qui avaient du travail pour produire le tissu à l'époque. Il y en a même eu plus à certains moments. Mais maintenant, ça n'est plus rentable, ça ne rapporte plus d'argent, c'est fermé.
Qui est la quatrième Division Marocaine de Montagne ? Qu'est-ce que c'est que cette quatrième Division Marocaine de Montagne ?
[Marie-Claire Vitoux]
Alors, dans le nom, vous avez quand même un pays, le Maroc. Et est-ce que vous savez la période, le moment où le Maroc est venu à Mulhouse ? Non, ce n'est la première guerre mondiale. Ce n'est pas à ce moment-là. Oui, ton voisin ? Oui, 1944-1945, absolument. C'était pendant la Deuxième Guerre mondiale. Alors, je vais essayer d'expliquer simplement. Donc, la Deuxième Guerre mondiale, l'Alsace, Mulhouse, vous savez qu'on est dans la région Alsace. Et l'Alsace était à l'époque, on va dire occupée par les Allemands. Et il a fallu se libérer de l'Allemagne, avec des soldats,. Ces troupes ont été créées, formées, en Algérie et au Maroc. Quel est l'autre pays qui est à côté de l'Algérie et du Maroc ? La Tunisie. La Tunisie, l'Algérie et le Maroc étaient en 1940 des colonies françaises. Donc appartenaient, étaient dirigées, guidées par la France. Et comme l'Algérie, le Maroc et la Tunisie n'étaient pas occupées par les Allemands, la France du général De Gaulle, qui a lutté contre les Allemands, a voulu y constituer, y faire une armée. De Gaulle s'est dit "Je vais faire une armée et je vais le faire avec les Français du Maroc, de l'Algérie ou de la Tunisie". Et donc, ces hommes se sont engagés pour défendre la France. Et puis, ils ont traversé la Méditerranée pour d'abord combattre en Italie. Puis, ils sont arrivés à Marseille, dans le sud de la France, vous voyez où c'est ? Ils ont remonté la vallée de quel fleuve ? Non, pas de la Seine. La Seine passe à Paris. Comment s'appelle ce fleuve ? Alors, le Rhin, ça, c'est chez nous, mais pas à Marseille. Ça pourrait être la Garonne. Mais ce n'est pas ça. Le Rhône, voilà. Et donc, ils ont remonté la vallée du Rhône et ensuite, ces troupes ont libéré le sud de l'Alsace. Et qui est au sud de l'Alsace ? Mulhouse. Donc
Mulhouse a été libérée par des troupes qu'on appelait marocaines, mais il y avait aussi des Algériens et des Tunisiens. Il y avait aussi des Français de Bourgogne ou de Paris. Et c'est eux qui ont libéré le sud de l'Alsace et Mulhouse.
Et pour leur rendre hommage, pour rappeler leur mémoire, et pour dire merci, pour les remercier de nous avoir libérés, eh bien, on leur a donné le nom de cette rue. Il y a d'autres noms dans la ville, qui rappellent ces troupes qu'on appelle des troupes coloniales, puisque c'est des colonies. Et pour finir, vous savez maintenant, est-ce que ce sont toujours, est-ce que l'Algérie, le Maroc et la Tunisie sont toujours des colonies françaises ? Non. Ce sont maintenant des pays indépendants. Ce sont toujours des pays indépendants, mais nous, Mulhouse, et je dois dire la France, on leur doit d'avoir été libérés. Merci à eux. Voilà d'où vient le nom. Alors, une remarque en plus, si vous allez dans les cimetières militaires, qui sont réservées aux soldats morts dans les combats, regardez bien, il y a des croix chrétiennes, catholiques ou protestantes, de temps en temps aussi des étoiles de David, pour les soldats juifs. Et dans la région de Mulhouse et autour, vous avez énormément, de musulmans. Avec quel symbole ? Oui, c'est le croissant de lune. Et souvent avec l'étoile. Et donc vous verrez dans les cimetières militaires qu'il y a énormément de soldats musulmans, qui disaient que leur religion, c'était la religion de l'islam, et qui sont enterrés avec leur symbole. Et quand on voit le nombre de tombes musulmanes par rapport aux tombes chrétiennes, on peut les remercier encore plus.
Dans les cimetières militaires, il y a énormément de soldats musulmans

Comment s'est passée la libération de Mulhouse ?
[Marie-Claire Vitoux]
La libération de Mulhouse a lieu fin novembre, entre le 21 et le 25-26 novembre 1944, je crois. Est-ce que vous connaissez la date de la fin de la seconde guerre mondiale, de la fin définitive de la seconde guerre mondiale ? C'était en 1945, le 8 mai 1945. Vous devez connaître cette date-là parce que c'est un jour où vous n'avez pas école. Alors que nous, enfin Mulhouse a été libérée en novembre 1944, plusieurs mois avant. En fait, les troupes dont on parlait, les troupes marocaines, algériennes, les troupes coloniales, venues des colonies, ont commencé par arriver par Belfort, ça vous dit quelque chose Belfort, ce n'est pas très loin ? Oui, à 40 kilomètres de Mulhouse. Ces troupes ont entouré Mulhouse en arrivant derrière la gare. Vous voyez où est la gare ? Vous avez une colline qu'on appelle le Rebberg. Donc elles sont arrivées par là, par le Rebberg et ensuite elles sont descendues vers la ville. Avant de faire ça en novembre, les Français, les Anglais et les Américains ont bombardé la ville de Mulhouse au mois de mai et au mois d'août 1944. En particulier autour de l'hôpital du Hasenrain, dans la place triangulaire... Est-ce que vous voyez cette place avec les arcades près de la gare ? La place de la Bourse ? Eh bien, elle était assez détruite. Donc il y a d'abord eu des bombardements, et puis ensuite les troupes sont arrivées en novembre. Et ça a été un combat, un combat porte à porte, rue par rue, quasiment un combat face à face. Donc évidemment il y avait des chars, il y avait des unités de chars, mais c'était essentiellement des fantassins, les soldats à pied. Ceux qui se combattent physiquement, sans être dans le tank... Et donc, ça a vraiment été un combat extrêmement rude entre le 21 et le 27 novembre 1944. Et puis ensuite, les Allemands se sont rendus et sont partis, ils ont traversé le Rhin. Et à ce moment-là, on leur a couru derrière, et la ville a été libérée. Mais Mulhouse a compté de très nombreux morts et de très grosses destructions dues au bombardement. Alors si vous regardez bien, quand vous allez à la gare de Mulhouse, et bien vous voyez sur le mur de la gare, il y a des petits carrés un peu plus roses dans la façade. En fait, on a bouché les trous des balles, des rafales de mitraillettes, qui avaient fait des trous dans la façade de la gare. Et lorsqu'on a voulu rénover la gare, on les a bouchés avec un sable un peu rose, voilà, pour les cacher en quelque sorte. Mais on peut encore les voir. Mieux encore, si vous allez, donc quand vous avez la gare derrière vous, si vous allez sur le pont qui est à votre gauche, il y a un mur en ciment avec une série de trous. C'est une rafale de mitraillettes des combats de novembre 1944 qui restent. Espérons qu'on les gardera. Voilà pour les combats.
On peut encore voir du côté de la gare les traces d'une rafale de mitraillettes des combats de novembre 1944

Comment vous faites vos livres ?
[Philippe Schweyer, éditeur Mediapop]
C'est une bonne question. J'ai justement apporté des exemples de livres pour pouvoir expliquer. Alors, en fait, quand un éditeur fait un livre, il y a beaucoup de travail. Et l'éditeur, finalement, c'est celui qui travaille le moins, mais qui fait travailler beaucoup de gens. Pour prendre un exemple concret, le livre que vous avez déjà repéré, qui s'appelle la "Nouvelle Histoire de Mulhouse"... Au départ, il y a trois historiens qui travaillent pendant de nombreuses années. Marie-Claire, Odile et Bernard sont des historiens et ils ont travaillé pendant très longtemps, ils ont étudié l'histoire de Mulhouse et ils ont écrit des textes avec des stylos, avec des ordinateurs. Ils ont écrit, écrit et encore écrit, et un jour, quand ils avaient fini leur travail, ils sont venus me voir. Mais ils n'ont pas seulement écrit, ils avaient aussi fait un travail pour que dans le livre il n'y ait pas que du texte.
Parce que c'est pénible, les livres avec seulement du texte, c'est bien quand on a aussi des photos, des plans, des images, etc.
C'est pour ça que dans leurs livres, il y a beaucoup de photos, beaucoup d'images. Et donc à partir du moment où ils avaient fini leur travail, il fallait faire travailler encore d'autres gens pour arriver à éditer un livre. La prochaine personne qui intervient sur le livre après eux, s'appelle Nicolas, et c'est quelqu'un qui a passé beaucoup de temps à relire leurs textes. Alors vous avez vu que Marie-Claire Vitoux connaît son affaire, c'est une grande professionnelle. Mais malgré ça, il faut quand même qu'il y ait quelqu'un derrière qui vérifie s'il n'y a pas de coquilles. Je ne sais pas si vous savez ce que c'est les "coquilles" dans les textes ? Les coquilles, c'est les toutes petites fautes. Je ne vous explique pas l'étymologie de ce terme. Donc
quelqu'un va relire les textes, vérifier s'ils sont bien écrits, si les phrases sont bien faites, s'il n'y a pas de faute dans les mots et vérifier aussi le sens, il ne faut pas qu'il y ait d'erreur.
Marie-Claire ne fait pas d'erreur, mais les autres font des erreurs... Et une fois qu'il a fini son premier travail de relecture, il va être en contact avec les auteurs, il va leur poser des questions quand il y a des choses qui ne sont pas claires. Et une fois que tout ce travail est fini, l'éditeur va encore faire travailler une autre personne. L'éditeur, il ne fait pas grand-chose tout ce temps-là. Qu'est-ce qu'il fait ? Il va faire travailler une fille, Aude, qui est graphiste, on appelle ça une graphiste. C'est une fille qui passe sa vie derrière un ordinateur et elle passe sa vie à mettre en page, c'est-à-dire le texte, il faut le transformer en livre, donc il faut qu'il soit plus joli. Il faut mettre les images dans le texte, il faut faire deux colonnes, etc. Donc elle va passer beaucoup de temps à faire ça. Et une fois qu'elle aura fini ça, on va refaire travailler Nicolas pour qu'il relise encore une fois le texte, mais une fois qu'il est mis en page, qu'il vérifie que les gens des photos sont au bon endroit, etc. Qu'il vérifie qu'il n'y a pas des choses qui se sont déplacées, qu'il n'y ait pas des sauts de pages ou des sauts de lignes qui ne soient pas corrects. Et une fois que tout le monde a relu, qu'on est tous d'accord pour dire que le livre est prêt, on fait travailler encore une autre personne. Et c'est carrément une grosse entreprise. C'est une imprimerie. Vous voyez ce que c'est une imprimerie ? Pour le livre en question, le livre de Marie-Claire, on est tous allés ensemble un jour chez l'imprimeur qui n'était pas à Mulhouse, il était dans le Bas-Rhin, à Wasselonne. Je ne sais pas si vous connaissez Wasselonne, c'est vraiment à l'autre bout de l'Alsace, au pied des Vosges. Et on est allé ensemble pour pouvoir voir le travail du livre en train de se faire imprimer, pour vérifier que tout se passait bien, etc. C'était aussi l'occasion que tout le monde se rende compte, qu'on se retrouve, qu'on fasse un petit repas, etc. Donc c'était un bon moment. L'imprimeur de ce livre s'appelle Ott. C'est une très grosse entreprise avec, je crois, plus de 100 personnes qui y travaillent. Il y a de grosses machines. On met du papier dans la machine, on met de l'encre, et puis très vite, le livre est imprimé sur des feuilles. Ça va très vite. C'est une énorme machine. La machine est beaucoup plus grande que cette pièce. Elle est beaucoup plus longue. Et à la fin, on a des feuilles. Des feuilles imprimées recto verso, c'est-à-dire imprimées des deux côtés, Mais ce n'est pas des feuilles comme ça, c'est des feuilles qui sont par 8. C'est comme si on mettait 8 feuilles comme ça, ce qui fait que ça fait 16 pages, vu qu'il y a des deux côtés. Donc on a des feuilles de 16 pages. Et le livre, comme Marie-Claire écrit beaucoup, le livre fait beaucoup plus que 100 pages, il fait 384 pages. Donc on fait un calcul, 384 pages, divisé par 16. Ça fait qu'il y a beaucoup de feuilles avec 16 pages. Il y a 24 feuilles avec 16 pages. Et l'imprimeur, après, une fois qu'on est parti, il va plier ces feuilles et il va les rassembler. Il va les mettre dans le bon ordre si possible. Donc il va plier les feuilles, il va les mettre les unes sur les autres. Il va les rassembler en fait. Il va les relier. Il va rajouter une couverture. Et après, il va massicoter, c'est-à-dire qu'il va couper avec des... C'est comme des lames comme ça qui coupent. Parce que vous voyez, les livres, ils sont coupés tout droit. Donc c'est parce que c'est coupé à chaque fois. Et j'ai apporté un livre sur le basket mulhousien avec un exemple. On voit un bout de feuille qui dépasse. Ça, c'est un livre qu'on ne peut pas vendre parce qu'il y a ce défaut. Mais ça vous permet de voir qu'en fait, chaque feuille dépasse le format du livre. Et pour voir comment elles sont coupées.
Donc vous voyez que l'éditeur, pour l'instant, il n'a pas fait grand-chose. Son travail, c'est vraiment de faire travailler les gens, de faire travailler d'autres gens.
Il faut qu'il fasse en sorte que ces gens-là s'entendent bien, que tout se passe dans l'ordre. Et une fois que le livre est terminé, l'imprimeur va envoyer le livre chez quelqu'un d'autre encore, qui va distribuer le livre dans les librairies. Et donc, cette autre personne, c'est aussi une entreprise avec beaucoup de monde. Il va y avoir des commerciaux qui vont travailler pour cette entreprise, qui vont aller dans toutes les librairies en France pour dire, attention, attention, dans deux mois, il y a le livre de Marie-Claire qui va sortir. Oui, oui, il est sorti. Donc, ça veut dire que toutes les librairies de France peuvent vendre le livre, vous voyez, les librairies, c'est les endroits où on peut acheter des livres. À Mulhouse, il y a plusieurs librairies. Il y a la librairie 47° Nord, la librairie Bisey, la librairie Littera. On peut aussi acheter des livres à la Fnac ou bien dans des supermarchés, parfois. Et donc, le jour officiel, parce qu'on décide comme ça, c'est comme le jour de la libération de Mulhouse. Là, on décide de libérer le livre. Il va y avoir un jour officiel où le livre est libéré. Ce jour-là, tous les libraires qui ont su que Marie-Claire allait faire un livre et qui sont intéressés par les livres de Marie-Claire, ils vont en avoir un chez eux, dans leur librairie. Et donc, ce jour-là, n'importe qui en France va pouvoir aller dans sa librairie et dire « S'il vous plaît, est-ce que je pourrais avoir le livre de Marie-Claire ? » Et voilà. Et à ce moment-là, l'éditeur, c'est là que commence son travail, parce que le libraire, il va envoyer l'argent au distributeur et le distributeur, il va envoyer l'argent à l'éditeur. Voilà. Donc, vous voyez comment ça marche. En fait, moi, je vais recevoir de l'argent qui va être le fruit du travail de plein de gens. Il y a plein de gens qui vont travailler. Et à un moment donné, si vous achetez le livre dans la librairie, eh bien, tous ces gens-là devraient récolter une petite partie chacun du fruit du travail de Marie-Claire. Par exemple, le libraire va vendre le livre, on va dire 30 euros, je dis n'importe quoi. Le libraire va prendre 10 euros pour lui. Donc il ne reste déjà plus que 20 euros. Après, il va y avoir le distributeur, celui qui a envoyé le livre au libraire, il va aussi prendre de l'argent. Tout le monde va prendre de l'argent et l'éditeur va avoir à peu près 10 euros aussi. Et avec ces 10 euros, il va falloir qu'il paye l'imprimeur. Et quand on fait un gros livre comme la "Nouvelle Histoire de Mulhouse" ça coûte très cher, donc il va falloir payer l'imprimeur, il va falloir payer Nicolas qui a relu le livre, il va falloir payer Aude qui a fait la mise en page, etc. Voilà. J'ai répondu à peu près ? C'est clair ?
[Marie-Claire Vitoux]
Juste pour compléter ce que Philippe Schweyer vient de dire. Donc nous, on écrit. Moi, j'ai écrit ça. Et puis, on se rend compte qu'en fait, on fait des fautes d'orthographe. Tu as appelé ça des coquilles, mais on fait des fautes d'orthographe. D'où l'importance de la relecture. On peut aussi écrire, et puis, ce n'est pas clair. Pour moi, c'est clair parce que je l'ai écrit. Mais il se peut que ce n'est pas clair pour les lecteurs. Donc, c'est drôlement important, d'être remis en question et d'accepter qu'on peut faire des erreurs, qu'on peut se tromper et qu'on a besoin des autres pour nous permettre d'être plus compréhensibles. Voilà, donc je trouve que c'est important aussi pour vous tous. Ce n'est pas parce qu'on écrit seul qu'on n'a pas besoin de travailler avec les autres. C'est ça.
Faites-vous des livres pour enfants ?
[Philippe Schweyer]
Je fais principalement des livres pour adultes. En fait, je fais quasiment seulement des livres pour adultes, mais ça m'est arrivé de faire un livre pour les enfants aussi. Mais un livre vraiment pour les tout-petits, qui étaient plus petits que vous. Parce qu'il y a à Mulhouse Marie Brignone, qui est venue me voir un jour, et qui m'a dit « Il faut absolument que tu fasses mon livre pour enfants, il faut que tu fasses mon livre pour enfants. » Moi je disais « Mais non, mais c'est pas mon truc et tout. Moi je veux faire des livres pour les adultes, je veux pas faire des livres pour les enfants. » Mais elle a réussi à me convaincre. C'est souvent comme ça que ça se passe. Elle a été tellement convaincante, tellement insistante et puis sympathique, que j'ai dit, essayons, faisons un livre pour les enfants. Donc j'ai fait un livre aussi pour les enfants. Je ne l'ai pas apporté ici aujourd'hui. Aujourd'hui, je vous ai apporté plutôt des livres pour des adultes. Mais il y a des livres peut-être qui peuvent vous intéresser. Par exemple, il y a un livre... C'est un livre d'histoire. Ce n'est pas de l'histoire sérieuse comme Marie-Claude Vitoux, mais c'est un livre sur l'histoire du basket à Mulhouse, parce qu'à Mulhouse, il y a une tradition, ça fait 100 ans que les gens jouent au basket à Mulhouse, et il y a quelqu'un qui a voulu écrire un livre là-dessus. Donc c'est à la fois un livre qui va parler du sport, mais ça parle aussi de l'histoire de la ville. Vous verrez en feuilletant le livre qu'il y a des très vieilles photos et que c'est assez sympathique de regarder ça. C'est pour vous montrer des exemples de livres. J'ai aussi publié un livre qui pourrait vous intéresser. C'est une journaliste du journal L'Alsace...
Je vous encourage à lire les journaux, je ne sais pas si vos parents lisent le journal, mais même si vos parents ne lisent pas le journal, vous pouvez aller dans les bibliothèques pour lire le journal, c'est gratuit. On apprend plein de choses, par exemple dans le journal L'Alsace. Il y a tous les jours plein de choses intéressantes qui se passent dans votre ville, à Mulhouse.
Et donc, Frédérique Meichler, cette journaliste qui travaille pour le journal L'Alsace a rencontré un jeune qui était un peu plus âgé que vous, à peine plus, et qui est arrivé d'Afghanistan à Mulhouse. Il a traversé l'Afghanistan, il est passé par l'Iran, la Turquie, la Grèce, l'Italie, et un beau jour il est arrivé en France. Il ne parlait pas un mot de français, il parlait un peu anglais, mais il ne parlait pas du tout français. Et un jour, il a dit à ses profs qu'il voulait raconter son histoire. Et les profs l'ont mis en contact avec cette journaliste. Et la journaliste est venue me proposer de publier un livre dans lequel il raconterait son histoire. Ce livre, qui circule dans la classe, s'appelle « Je peux écrire mon histoire » de Abdulmalik Faizi. Et c'est un des livres dont je suis le plus fier, parce que c'est vraiment un livre touchant. Souvent, on parle des gens qui viennent d'autres pays, mais on parle d'eux de manière un peu globale, générale, comme ça, sans se rendre compte de tout ce qu'ils ont vécu avant d'arriver jusqu'à Mulhouse. Et si vous lisez ce livre, vous aurez vraiment toute l'histoire, tout le parcours. Il a raconté vraiment tout son parcours depuis son départ d'Afghanistan jusqu'à son arrivée à Mulhouse. J'aime beaucoup ce livre, il a bien marché, il a intéressé beaucoup de gens. Voilà. Donc, la réponse, en fait, c'est que je fais plutôt des livres pour adultes.
Pourquoi Mulhouse est une ville d'immigration ?
[Marie-Claire Vitoux]
D'abord, est-ce que quelqu'un peut me donner la définition d'immigration ? Oui, absolument, tu as tout à fait raison, c'est comme des oiseaux migrateurs. Ce sont des gens qui quittent leur pays et qui viennent s'installer ailleurs, en l'occurrence, i-migration, ils viennent chez nous. Et si nous, on va dans un autre pays, ça se dit comment ?
Touriste ?
Juste, oui. Mais sinon ?
Étranger ?
Alors, les étrangers, c'est quand ils sont déjà installés chez nous. On dit qu'ils sont étrangers. Mais le fait de quitter son pays, toi, quand tu quittes ton pays et que tu vas habiter dans un autre pays, tu es quoi ? Là-bas, tu es un immigrant. Mais quand tu quittes ton pays, on dit comment ? Un émigrant, ça vous dit quelque chose ? Oui. É-migrant avec un é. Ah ben voilà, on peut en effet ne pas avoir de papier, absolument, tout à fait. Un émigrant, c'est celui qui quitte son pays et quand il arrive chez nous, on l'appelle un immigrant avec un i. Ça marche ? Donc, ta question, c'était pourquoi est-ce que Mulhouse est une ville d'immigrants ? Est-ce que vous avez une idée du nombre de pays d'où viennent les mulhousiens ? On peut en citer quelques-uns. Tu as cité l'Italie. Est-ce qu'il y en a d'autres qui peuvent le citer ? Oui ? Ah ben la France, ils sont français. Et alors, ils peuvent venir d'Allemagne. Maroc, Tunisie, Algérie, on l'a vu tout à l'heure. Oui. Sénégal, absolument. Le Mali. Le Mali. Oui. La Colombie, absolument. Le Kosovo. Allez, on arrête, hein. Bon. Au total, on dit qu'à Mulhouse, il y a 135 nationalités. C'est-à-dire que les mulhousiens viennent de 135 pays différents. Alors, pourquoi sont-ils venus à Mulhouse ? Eh bien, parce qu'il y avait du travail. Mulhouse était une ville industrielle, riche, ils n'étaient pas obligatoirement très bien payés, ceux qui venaient. Mais c'était une ville qui avait beaucoup d'usines et qui donc pouvait proposer des postes de travail. Tu veux intervenir ?
Il y a aussi un truc qui s'appelle OQTF, obligation de quitter le territoire français.
[MC Vitoux]
Absolument. Alors, je vais répondre à ta question plus tard. Revenons à Mulhouse ville d'immigration. Pourquoi ? Essentiellement parce que c'est une ville qui a offert du travail. Mais il y a une autre raison pour quitter son pays, ce n'est pas simplement pour aller chercher du travail et fuir la pauvreté, c'est aussi pourquoi, oui ? Parce qu'il y a la guerre et parce qu'on risque d'être tué dans son pays. C'est ce qu'on appelle les réfugiés. D'accord ? Et Mulhouse a donc deux façons, deux raisons d'immigration. C'est l'immigration de travail et l'immigration politique, l'immigration refuge. Donc, pourquoi est-ce que Mulhouse a toujours été une ville d'immigration ? Pendant des siècles et des siècles, c'est parce qu'elle pouvait produire du travail ou de la protection. Il se trouve que maintenant, Mulhouse, comme d'autres villes en France, n'a plus autant de travail ouvrier. Un certain nombre de ces immigrants ne trouvent pas de travail et donc le gouvernement français veut les obliger, pour certains d'entre eux, à retourner chez eux et produisent ce que tu viens de me dire, c'est-à-dire des obligations à quitter le territoire, la terre française, des OQTF... Donc en effet, il y a des immigrés à qui on ne fournit pas ou qui ne trouvent pas de travail et à qui le gouvernement demande de repartir chez eux. Voilà. Alors, si je peux ajouter quelque chose, c'est qu'on ne comprend pas la richesse de Mulhouse. Il y en a qui m'ont posé cette question-là. Nous avons à Mulhouse des millionnaires. On est d'accord ? Et on ne comprend pas la richesse de Mulhouse si on ne comprend pas qu'elle a trouvé dans les pays étrangers, d'abord les voisins, quelqu'un m'a cité les Allemands, même les Suisses, la Belgique, la Pologne, et parfois de beaucoup plus loin, c'est parce qu'elle a trouvé de la main-d'œuvre qui est venue dans ses usines. Et donc, la richesse de Mulhouse a été possible, pendant des dizaines et des dizaines d'années, grâce à ce travail, pas toujours bien payé, des ouvriers migrants. Et moi, qui viens de Montpellier, quand j'ai eu mon poste à Mulhouse, c'est parce qu'il y avait des besoins, alors que je ne trouvais pas de poste à Montpellier. Et donc, je considère que moi aussi, j'ai eu la chance d'être acceptée comme migrante à Mulhouse.
Comment le quartier a-t-il changé en 20 ans ?
[Marie-Claire Vitoux]
Alors, comment le quartier a-t-il changé dans les 20 dernières années ? Alors, le quartier, il y a d'abord une chose qui n'a pas changé. C'est que c'est un quartier ouvrier, ce n'est pas les millionnaires qui habitent ici. Juste à côté, tout autour, vous avez ce qu'on appelle la cité ouvrière. Ça vous dit quelque chose ? Autour de la place Adolphe May ? Là, vous êtes dans un quartier qui a été construit pour les ouvriers ou pour les gens qui avaient des bas salaires. Et ça n'a pas changé. Ce quartier est ce qu'on appelle un quartier populaire. Ça n'a pas changé. Par contre, ce qui a changé, et en particulier dans les 20-30 dernières années, c'est que les ouvriers, fils d'ouvriers, petits-fils d'ouvriers, qui sont à Mulhouse, depuis un siècle, 120 ans, 130 ans, etc. Et bien ceux-là, ils ont quitté ce quartier pour aller construire des petites maisons dans les villages autour de Mulhouse. Donc ces maisons populaires, ces maisons pas très chères, ont été achetées par les immigrants. Et c'est pour ça que des Marocains, des Portugais, des Tunisiens, des Maliens, etc., ont pu acheter ces maisons populaires. Ce sont les nouveaux ouvriers, les nouvelles populations à pas très haut salaire qui se sont installées dans le quartier. Ça c'est la différence fondamentale. Après l'autre différence importante, c'est que beaucoup de ces habitants ne sont plus des ouvriers, ils ne travaillent plus dans le textile ou dans la grande usine qui faisait des machines à vapeur, des locomotives, etc., ce qu'on appelle la SACM. Maintenant, ils sont petits employés, ils sont dans d'autres types d'entreprises. Mais fondamentalement, dans le fond, le quartier, pour moi, n'a pas beaucoup changé.
Combien de temps faut-il pour faire un livre ?
[Philippe Schweyer]
Combien de temps ça prend de faire un livre ? C'est vraiment une très bonne question. En fait, c'est comme faire la cuisine. Il y a des gens qui font des plats qui mettent deux minutes à réchauffer. Il y en a d'autres qui vont prendre le temps de faire un bon couscous pendant des heures, même des fois des jours. J'ai un copain qui est d'origine italienne. Sa maman faisait des raviolis elle-même et ça mettait trois jours à être fabriqué. C'est pareil avec les livres. J'ai fait circuler quelques livres. Vous avez vu, il y en a qui sont tout petits. Eh bien, souvent, les tout petits livres, ça va beaucoup plus vite que les gros livres, par exemple. Mais ce n'est pas une règle. Il n'y a pas vraiment de règle, en fait. Ça dépend de beaucoup de choses. Beaucoup de gens qui me disent qu'ils veulent faire un livre avec moi et sont censés me rendre leur texte à une date précise. C'est un peu comme vous, quand vous faites des devoirs en classe. Il y en a qui vont plus vite que d'autres. Et il y en a qui ont du mal à finir. C'est pareil avec les auteurs. Certains n'arrivent jamais à respecter les délais, ils vont mettre très longtemps, on va être obligé d'attendre, d'attendre, d'attendre pour avoir leur texte, et du coup le livre va mettre longtemps à être fait. Et c'est pareil à toutes les étapes de fabrication, on peut avoir des gens dont j'ai parlé tout à l'heure, le correcteur qui va être plus lent, ou la graphiste qui va mettre beaucoup de temps, ou même des fois l'imprimeur qui va nous promettre que le livre va être imprimé en trois semaines, et puis finalement au bout d'un mois le livre n'est toujours pas arrivé. Voilà, donc... En fait, le livre, si vous voulez, le plus rapide, je vais dire, entre le moment où on décide de faire un livre et le moment où il est en librairie, ça peut être deux, trois mois. Ça, c'est vraiment très, très rapide. Et après, souvent, ça prend au moins une année de fabriquer un livre. Le livre de Marie-Claire a pris beaucoup de temps.
Pourquoi vous êtes devenue historienne ?
[Marie-Claire Vitoux]
J'avais votre âge, 10-11 ans. Je rentre en 6e. Alors je vais vous dire que j'aimais bien l'école. Mes parents étaient professeurs, donc j'avais intérêt à aimer l'école. Et donc j'arrive en 6e, et le premier cours d'histoire, c'était sur l'Égypte des pharaons. Et ça vous dit quelque chose peut-être, la pyramide, vous avez peut-être vu Astérix et Cléopâtre ? J'ai dit "c'est ça que je veux faire". Alors je ne suis pas devenue égyptologue, c'est-à-dire spécialiste de l'Égypte, mais du coup, je me suis passionnée pour d'où on vient. Et puis il y a une autre raison aussi... On a parlé tout à l'heure de la Deuxième Guerre mondiale, puisque c'est ce qui explique le nom de la rue où se trouve l'école. La Deuxième Guerre mondiale est une guerre que ma mère et mes grand-parents ont vécue. Ma grand-mère et mes grands-parents sont nés en 1903-1905, ils avaient 40 ans quand la guerre a éclaté. Et ma mère est née en 1927, donc elle avait 12 ans quand la guerre a éclaté. C'est donc une guerre qui a marqué mon enfance. Moi je suis née après la guerre, mais il se trouve que mon grand-père maternel a été ce qu'on appelle résistant, il a lutté contre les Allemands et il en est mort. Et maman n'a donc plus eu de papa quand elle avait 17 ans. Et je pense que ma mère a toujours souffert de ça. Et je voyais que ma mère était triste. Et donc je me suis dit, mais je veux comprendre ce qui s'est passé, je veux comprendre. Pourquoi il y a cette tristesse dans ma famille ? Alors voilà, il y a les deux raisons. C'est à la fois parce que j'ai été passionnée par l'histoire et aussi parce qu'on a des histoires des parents ou des grands-parents qui sont souvent des histoires de souffrance, de tristesse. Et pour pouvoir moins en souffrir, il faut comprendre ce qui s'est passé. Et alors tu vois, tu me permets de dire que vous réussirez dans tout ce que vous ferez, pas parce que vous serez bon à l'école, désolé les maîtresses, mais parce que vous serez passionné. Voilà. J'étais passionnée par l'histoire. Donc, j'ai réussi. Mais vous pouvez être passionnée parce que vous aimez travailler, je ne sais pas, être carreleur, ou vous aimez construire une maison, ou vous aimez chanter, ou vous aimez... Peu importe. Mais ayez de la passion. Je crois que c'est ce qui fait la différence.
Ayez de la passion, c'est ce qui fait la différence
Comment on fait pour être archéologue ?
[MC Vitoux]
Le métier d'archéologue suppose d'avoir fait des études à l'université. Donc, après ton collège, après il faut que tu ailles au lycée, que tu passes un bac, un baccalauréat. Pas obligatoirement un baccalauréat qu'on appelle littéraire, ça peut être un bac scientifique, peu importe. Et ensuite, tu vas faire des études à la faculté, ce qu'on appelle à l'université d'archéologie. Alors, tu peux avoir des spécialisés. Par exemple, tu as des archéologues qui vont, je vais raconter une anecdote, qui vont en fait être venus par l'étude de ce que mangent les ancêtres. Donc, ils connaissent les animaux et les plantes. Donc, ils ont fait des études de ce qu'on appelle science naturelle. Je m'explique. Un jour, il y a un archéologue qui travaillait sur un restaurant de l'époque du Moyen-Âge. Donc, on va dire du XIVe siècle. Il travaillait là et il avait découvert des ossements de lapins. Mais il manquait toujours le bout de la patte du lapin. Comment ça se fait ? J'ai le squelette entier de plusieurs lapins qu'on cuisinait dans le restaurant, mais il manque toujours la patte de lapin. Là où il y avait les pieds du lapin, si on veut. Et elle a compris qu'en fait, au Moyen-Âge, il n'y avait pas de frigo. Il n'y avait pas de réfrigérateur. Donc la viande, on la laissait pourrir. Et on la mangeait quand elle avait dépassé, quand elle était plus que pourrie. Les lapins, une fois tués, on les accrochait avec un bout de ficelle. par une pâte, à une poutre. Et quand il était suffisamment pourri, on tirait dessus, l'os restait accroché à la ficelle sur la poutre, et on pouvait cuisiner le reste du lapin. On y mettait du sel, du poivre, quand on pouvait, on y mettait des épices, et ça faisait, j'aimerais pas le manger, mais ça faisait un très bon plat. Et donc, tu as des archéologues qui peuvent se poser ce type de questions. Comment est-ce qu'on sait s'il y a des gens qui sont anthropophages, qui mangent d'autres humains ? Et bien comment on sait ? Parce qu'on trouve leurs crottes, des cannibales. Et si on trouve des crottes, des archéologues qui vont travailler avec de la chimie, vont travailler sur ces crottes et vont pouvoir te dire qu'ils mangeaient du blé, qu'ils mangeaient de la viande de poulet, etc. Donc les archéologues, ces sacrés zigotos, peuvent faire des tas de choses. Donc, tu peux devenir archéologue, la seule chose que je te dirais, c'est dès que tu peux, tu vas faire des fouilles. Tu t'inscris, 13 ans, 14 ans, 15 ans, il y a tous les étés, des fouilles ou des travaux d'archéologue dans des châteaux du Moyen-Âge, ou dans des camps romains, ou dans des fermes gallo-romaines dont j'ai parlé à propos d'Ikea. Peu importe, tu vas faire des fouilles. Et puis tu grattes et tu vois si ça te plaît. Donc n'attends pas de pouvoir faire les études d'archéologue. Va d'abord voir si tu aimes. Et pour ça, pas maintenant, tu es un petit peu trop jeune, mais je te dis 14, 15 ans, 16 ans ou plus tard, tu peux aller dans des fouilles, tu n'es pas payé, tu es juste logé, nourri et tu vois ce que c'est que le travail d'archéologue. Fais ça parce que sinon tu peux te tromper et puis surtout tu vas voir que peut-être que ça ne te plaît pas. D'accord ? Donc, tu n'attends pas de faire la fin des études si ça te dit, tu vas chercher des fouilles qui t'intéressent. Tous les ans, il y a des ateliers, des chantiers de fouilles.
Pour vous, c'est quoi les points à rétablir sur Mulhouse ?
[MC Vitoux]
Autrement dit, ta question, c'est de me dire qu'est-ce qui ne va pas à Mulhouse et sur quoi est-ce qu'il faudrait intervenir ? Je vais peut-être parler de façon un peu différente. Il y a énormément de gens qui ne connaissent pas Mulhouse et qui disent, je ne veux surtout pas aller à Mulhouse parce que c'est une ville dangereuse, c'est une ville où on va me rayer ma voiture, c'est une ville où il y a de la délinquance, c'est-à-dire on se fait voler dans la rue, etc. Donc, la première chose, je pense, qu'il faudrait faire, c'est de la publicité positive. Le mot est tout à fait ça. Comme en mathématiques, il y a du positif et du négatif. De part et d'autre, du zéro. Je pense qu'il faudrait montrer la richesse et la solidarité qu'il y a à Mulhouse. Ça passe par ce qu'on appelle changer son image. Actuellement, quand on dessine Mulhouse, on va lui faire la tête de quelqu'un qui est triste, qui a peur, etc. Il faut montrer quelqu'un qui a plaisir à aller dans la plaine sportive, on a une piscine olympique, on a une patinoire olympique, on a des promenades, on a le Tannenwald, on a le tram, on a des cinémas. Voilà, ce serait, je pense, la première chose, le plus important. Après, c'est vrai que j'aimerais bien qu'on connaisse un peu mieux son histoire et surtout qu'on dise, qu'on répète que tous les immigrés de Mulhouse, tous ceux qui sont les nouveaux mulhousiens, c'est formidable parce qu'ils apportent leur richesse, leur différence et que c'est ce qui nous caractérise. J'ai coutume de dire qu'à Mulhouse, on peut manger le monde entier. Tu veux manger afghan, tu peux manger afghan. Tu veux manger vietnamien, tu peux manger malien, tu peux manger malien, etc. Toute cette diversité, au lieu d'en faire un problème, on en fait une richesse.
Comment sera pour vous Mulhouse dans 20 ans ?
[MC Vitoux]
D'abord, je ne le verrai peut-être pas, vu mon âge. Et quand on est historienne, on est tourné vers le passé. Et on n'a pas obligatoirement la vue vers la vie dans 20 ans. Alors, je me lance, je prends un risque. Et puis, quand tu auras 20 ans, tu diras Marie-Claire Vitoux, elle s'est complètement plantée. Tu iras sur ma tombe et tu diras, ben voilà, vous êtes complètement raté. Écoute, je pense que Mulhouse va rester une ville de gens solidaires. Je pense au centre Papin, qui permet que les habitants qui ne roulent pas sur l'or, se mettent ensemble et puis ils s'aident mutuellement. Donc, j'espère, en tous les cas, que c'est une ville qui va continuer à lier les gens les uns aux autres, au-delà des difficultés. Je pense que c'est une ville qui va affronter de grosses difficultés. Ça va être difficile. Le monde actuel n'est pas très gai. Mais je crois vraiment qu'il y a une énergie dans Mulhouse qui va permettre de régler ces problèmes. Alors, je ne dis pas qu'elle va devenir une ville de millionnaires. Ses habitants ne vont pas devenir millionnaires. Mais j'espère vraiment qu'ils vont ensemble travailler par l'entraide, par l'énergie de l'entraide. Tu comprends, entraide ? Le fait de s'aider les uns les autres. Pas chacun sa pomme. Pas chacun tout seul. Voilà. J'ai plus de l'espoir qu'autre chose.
Merci. Au revoir.