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La dernière folie du Théâtre de l’Unité

Ton voisin cet inconnu

[Revue de presse]


Jacques Livchine et Hervée de Lafond sont les personnages extraordinaires du roman de leur propre vie. Les fondateurs du Théâtre de l’Unité ont passé plus de 50 ans à oser l’inimaginable et à réussir l’impensable. 2026 sonne l’heure de la retraite mais la Maison de l’Unité poursuit l’aventure à Audincourt.


31 décembre 2025, Kapouchnik historique. Rideau baissé, verres levés. L’occasion parfaite pour rembobiner le scénario d’une comédie artistique et politique comme on n’en fabrique plus. Une épopée à hauteur humaine, de rue, de chien parfois.



Tout commence en mai 68, évidemment. Une faillite, un camion Volkswagen huit places récupéré au passage. Que faire de ce véhicule improbable ? Y charger des comédiens, pardi. Direction la MJC d’Issy-les-Moulineaux. Le théâtre comme transport collectif.


Hervée naît au Vietnam en 1944 d’un père militaire, grandit dans des écoles religieuses d’Agen à Lille, trie 5000 chaussures à Emmaüs, et écrit très tôt des pièces de théâtre pour enfants. Elle rencontre Jacques en 1972 à qui elle arrache le plus petit rôle du théâtre français, une Dame Claude muette dans L’Avare de Molière. Avec l’embauche du scénographe Claude Acquart, le trio fondateur est là. L’Unité prend forme.


Jacques Livchine, Hervée de Lafond, Claude Acquart
Jacques Livchine, Hervée de Lafond, Claude Acquart

Les salles se remplissent, mais toujours avec les mêmes têtes. Comment faire venir tout le monde ? Aller parader dans la rue ! En 1973, ils inventent le théâtre de rue mais ils ne le savent pas. En 1977, surgit la 2CV Théâtre. Une parade au départ, pensée pour annoncer un spectacle sur la faillite de l’usine du père de Jacques. Puis un article dans Libé. Et le basculement. Vingt ans de tournée mondiale. Corée, Chine, États-Unis, Islande, Australie, Guyane, etc. Une Citroën bringuebalante, un acteur à l’avant, deux spectateurs à l’arrière, huit minutes proustiennes, une ouvreuse désagréable, un pompier réglementaire, un garde républicain. C’est le plus petit théâtre du monde. Et peut-être le plus juste. Élitaire-populaire assumé.



«  Il ne s’agit pas de remplir le théâtre de Montbéliard mais de remplir Montbéliard de théâtre »


Tout en tournant en Italie, en Russie ou en Kanaky, la troupe s’associe dans les années 80 au CAC de Saint-Quentin-en-Yvelines et crée des Brigades, des Ruches et des BIT (Brigades d’Intervention Théâtrale) un peu partout. À Trappes où un certain Jamel Debbouze découvre le théâtre, jusqu’à Audincourt aujourd’hui.


1989, cent cinquante représentations. 1990, l’épuisement. Il faut un lieu avant d’être vieux. Petite annonce nationale : Compagnie professionnelle cherche un lieu d’implantation, mairies, veuillez faire offre sérieuse. Contre toute attente marxiste, c’est Louis Souvet, sénateur-maire RPR de Montbéliard pendant 27 ans qui répond. Jackpot idéologique improbable. Une seule condition - qui aurait plu à Mélenchon version LFI : ne jamais adhérer au PS. La Scène Nationale se transforme en Centre d’art et de plaisanterie. Et peu à peu, le rire s’empare de cette terre ouvrière marquée par les usines Peugeot…


Lancer un sénateur RPR en l’air


On peut bousculer l’institution par l’action, sacrifier des Renault 5 sur un pieu géant (pas des Peugeot, il y a quand même des limites à la transgression), propulser un sénateur-maire RPR à vingt mètres de hauteur en l’air au bout d'un élastique, vendre des gobelets vides et offrir le vin parce que la licence IV n’arrive pas, inventer une monnaie locale, proposer chaque saison La plus mauvaise pièce de théâtre de l’année, lancer des créations avec 100 personnes, engueuler le spectateur… Ou jouer pour des chiens. Des vrais. Invitations aux maîtres en forme d’os. Comédiens tartinés de rillettes et de colliers de saucisses. Succès canin. Presse maximale. Le pouvoir médiatique du chien, ne jamais l’oublier.


Théâtre pour chiens
Théâtre pour chiens

Une espèce d'institution anti-institutionnelle


Ils « inventent le loft sans le savoir », avec  une pièce qui dure 11 jours et 11 nuits, et réinventent les classiques, Don Juan, Le Bourgeois gentilhomme, Oncle Vania (mais à la campagne), Brecht (mais pour Muguette et avec les comités d’entreprise), Macbeth de Shakespeare (mais en forêt, par exemple au Tannenwald à Mulhouse pour l’indispensable festival Scènes de Rue). Et l’Unité écrit beaucoup, Jacques pratique l’écriture au quotidien, dans ses Griffonneries drôles et poétiques, qui lui valent de solides inimitiés chez les professionnels de la profession, indignés par ses tirs à canon sur l’institution théâtrale.


Macbeth dans la forêt
Macbeth dans la forêt

« Ce crétin surdiplômé de Pierre Moscovici »


L’apothéose, c’est l’incroyable Réveillon des Boulons qui métamorphose Montbéliard une année sur deux. Défilé mécanique, folie puissante, théâtre partout, sourires en rafale. Des dizaines de milliers de personnes dehors par une nuit glaciale. Trop pour Pierre Moscovici, président du pays de Montbéliard en 2008, aujourd’hui président de la cour des comptes. Trop populaire, trop soutenu à l’origine par un RPR. Rideau. Suppression. La politique culturelle de gauche, parfois, aime les ciseaux.


L’Unité a toujours trinqué. Pas un spectacle qui ne se termine autour d’un repas arrosé… À Audincourt, à côté de Montbéliard, où la compagnie s’est installée en 2001 dans les anciennes filatures Japy, c’est un art de vivre. Jacques et les siens cuisinent tous les jours ou presque. C’est là que naissent les kapouchniks, revue de presse sur scène, pour rire de l’actualité et des politiques locales et internationales.


La Nuit Unique, à Cannes en 2022
La Nuit Unique, à Cannes en 2022

« Souvent nous nous disons, là on n'ira pas plus loin, c'est fini, et pourtant à chaque fois, nous repartons... »


Le théâtre est d’abord politique. La preuve en 2015 avec le Parlement de la rue, agora grecque reconstituée, objet théâtral populiste, présenté à Mulhouse et à Aurillac, où l’on débat aussi bien de pédagogie que de sodomie à partir de propositions du peuple. Ou avec La Nuit Unique, improbable nuit blanche de théâtre présentée à un public couché et parfois endormi à Cannes en 2022.


Depuis le 1er janvier 2026, la Maison de l’Unité a pris le relais. Estelle Chardon à l’administration et à la communication. Catherine Fornal et Éric Prévost à la direction artistique. Résidences, accueil de compagnies, poursuite des Kapouchniks complets depuis cent quatre-vingt éditions, Ruches annuelles. La liberté d’expression reste sur scène. Et ailleurs aussi.


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Hopla on y va !



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