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Femmes avec un grand F ou la féminine universelle : Typhaine D en interview

Lisa Giannarelli

Dernière mise à jour : 22 déc. 2024

Imaginez une monde où les femmes occuperaient l'immense majorité des postes à responsabilité. Une monde où les femmes auraient les plus gros salaires. Une monde où la féminine l'emporterait sur la masculine et où les hommes seraient invisibilisés partoute et subiraient de multiples violences à cause de la simple faite d'être un homme. C’est ce qu’a imaginé Typhaine D dans les deux spectacles joués à Mulhouse à la Maison de la Culture populaire (MCP Cité) la 26 novembre 2024. 



Deux interviews et un micro-trottoir à découvrir autour de la spectacle de Typhaine D à la Maison de la culture populaire de la Cité : 



Autrice, metteuse en scène, comédienne, chroniqueuse média, formatrice et conférencière engagée pour les droits des femmes, des enfantes et des enfants, des personnes animales non-humaines et inventrice d'une langue à la féminine universelle, Typhaine D nous propose de plonger dans une monde où les femmes sont au pouvoir le temps d’une interview. 


Est-ce que vous pourriez nous parler de votre parcours autant militant que professionnel ? Comment on arrive à avoir autant de métiers ?


Ça a été évidemmente, comme pour tout le monde, un chemin. Comédienne, j'ai toujours voulu faire ce métier-là. Simplemente, à l'époque, quand j'étais toute petite, je pensais qu'en gros, c'était le métier de comédien, mais pour une femme. Or, comédienne, quand je suis arrivée au cours Florent, c'était plutôt un métier d'objet sexuel qu'on me demandait de faire. Et ça, il ne faut pas beaucoup de compétences, n'est-ce pas ? 


quand je suis arrivée au cours Florent, c'était plutôt un métier d'objet sexuel qu'on me demandait de faire


Je me suis rendue compte que si vraimente je voulais être une comédienne, comme un comédien, mais en femme. Faire autre chose que d'être mise à poil, subir des violences sexuelles et être éternellement jeune et belle. Il fallait que je crée moi-même mon métier et ça tombe très bien puisque j'écris aussi et que je mets en scène. 


Et puis d'autre part, en même temps, je suis devenue militante, engagée sur le terrain pour les droits des femmes. J'ai été formée par le CFCV, le Collectif Féministe contre le Viol, qui est une des associationnes les plus importantes, avec le numéro d'appel national, anonyme et gratuit 0800 05 95 95. J'ai milité avec plein d'autres sur beaucoup de sujets. Je suis devenue “exmerte”, comme j'aime dire. 


En parallèle, j'ai créé Contes à rebours. Ça m'a amenée à créer la féminine universelle. Donc une langue féminisée, l'exact inverse du masculin qui l'emporte, là c'est la féminine qui l'emporte, qui est une créationne littéraire militante et qui permet, comme d'ordinaire toute est masculinisée, de faire réentendre les femmes dans la langue. Et avant “La pérille mortelle” il y avait aussi Opinion d'une femme sur les femmes de Fanny Raoul, qui est une pièce de la matrimoine. 


c'est plus compliqué pour les femmes de s'exprimer en public


Tout cela a multiplié les casquettes. Et en plus, je me suis mise à donner des formations, du coaching, comme on veut l'appeler, dans des entreprises, des associations, des syndicats ou en individuel soit sur la préventionne des violences sexistes et sexuelles au travail, puisque j'ai travaillé aussi avec l’AVFT, l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail. Soit sur tout ce qui est estime de soi, assurance dans la prise de parole en public, notammente pour les femmes, puisqu'on sait que c'est plus compliqué pour les femmes de s'exprimer en public. Et donc c'est un peu tout ça.


Vous venez de jouer Contes à rebours et vous allez jouer tout à l'heure la One feminist show, Pérille mortelle, à la MCP Cité (Maison de la Culture Populaire de la Cité) à Mulhouse. Pouvez-vous présenter ces deux pièces ?


Alors Contes à rebours, c'est une réécriture féministe des contes de fées. Donc on croise des personnages qu'on connaît avec Disney, avec Perrault, les Cendrillon, Blanche-Neige, le petit chaperon rouge qui est devenu la grande chaperonne rouge. Et chacune, elles vont reprendre la parole, se raconter elles-mêmes, se mettre du côté des victimes, se mettre en empathie, et puis remettre la culpabilité là où elle est. Le baiser sauveur du prince, on rappelle que c'est une agression sexuelle punie de 5 ans de tôle, etc. Je passe par différentes émotionnes. Il y a des momentes où on rit, où on est plus en mode stand-up, comme dans Blanche-Neige. Des momentes de témoignage, où on est plus en mode théâtre interactive aussi, avec Cendrillon par exemple. Des momentes de comptine avec les sept filles de l'ogre, des momentes de chant ou de slam avec Shéhérazade. Des momentes de discours militants comme avec la chaperonne rouge. Le prologue est plutôt pédagogique, c'est plutôt une espèce de conférence gesticulée. Et je passe la versionne longue sur le viol de la petite sirène. C'est plus de la poésie, une écriture très dramatique. Je me balade entre les registres, les émotionnes, etc. pour faire passer un maximum d'outils de conscientisationne, de compréhensionne du système d'oppression, d'émancipationne via les luttes collectives et la sororité, etc. et que chacune, chacun y trouve son compte parce que certaines, ça va être plus la poésie, d'autres, ça va être plus le stand-up. Elle s’agit de rencontrer tout le monde.


Vous faites le parallèle entre contes, violences sexistes, sexuelles, conjugales et bien d'autres. Personnellement, quand j'étais petite, je ne me suis pas du tout rendu compte de ça dans les contes. Je m'en suis rendu compte bien plus tard. Et vous, quand et comment vous en êtes rendu compte ?


Ce que je dénonce, je ne m’en suis pas rendu compte tout de suite. Mais certains trucs quand même. Je me souviens qu'en CE2, on avait étudié le conte du petit poucet. Le petit poucet, trop malin, pour sauver ses frères, il échange les couronnes qui sont sur la tête des petites filles, donc des filles de l'ogre, avec leur bonnet de nuit. Donc on sent un peu l'insulte sale bourgeoise blanche. Dormir avec une couronne, c'est maltraitant. Tu te blesses, déjà. Bref, et du coup, à tâtons, l'ogre tâte du côté des garçons. Il trouve les couronnes à la main, il se dit j'ai failli manger mes filles. Et donc il va manger ce qu'il croit être les garçons, en faite c'est ses filles. Et donc c'est comme ça qu'ils s'en sortent. Après avoir bouffé, il fait une sieste et puis là, le petit poucet sort par la fenêtre. T'as envie de dire, si tu pouvais sortir par la fenêtre, tu ne pouvais pas le faire tout de suite?


On nous apprenait que notre rôle, c'est de mourir pour que les garçons aillent bien


Et à la fin, tout est bien qui finit bien. En plus on décrivait la mère qui arrive au milieu des cadavres, des restes de ses filles, et qui pleure avant que l'autre mette ses bottes de 7 lieux. Il y a une mère qui pleure ses 7 filles bouffées par leur propre père et c'est une histoire qui finit bien parce que c'est des ogresses ? La double peine. Déjà ton père c'est un ogre, et en plus ton père est un agresseur, du coup on s'en fout de toi. Mais si c'était vraimente des ogresses elles les auraient bouffés. Et vu ce qu'ils leur ont fait subir, elles auraient peut-être eu raison. Et je me souviens que j'avais eu un truc à recopier, genre “je ne dois pas m'énerver en classe”. On nous apprenait que notre rôle, c'est de mourir pour que les garçons aillent bien. Mais non ! 


Ou le truc de faire le ménage. Blanche-Neige vient d'être abandonnée dans une forêt avec un mec qui a essayé de la tuer, toute seule. Et elle se dit, je vais faire le ménage. J'avais compris que ranger ma chambre, déjà, ça me rendait dingue. Donc il y avait deux, trois arnaques que j'avais vues quand même. 


La Pérille mortelle est arrivée un peu plus tard, en 2017, juste avant MeToo parce que l'académie française avait sorti un texte - que je vous encourage à lire parce que c’est tellemente débile - pour dire que l'écriture inclusive était une péril mortel pour la langue française. Dire bonjour à toutes et à tous, ça détruit la langue alors que la langue française n'a jamais été autant parlée, simplemente comme c’est en Afrique subsaharienne, ça ne les arrange pas. Mais qui êtes-vous ? Parce que vous allez voir qu'ils sont complètement incompétents. C'est de la cooptation entre nullos.



Ça m'avait tellemente énervée que je me suis dit je vais écrire la Pérille mortelle, je vais tout inverser, je vais devenir une académicienne misandre qui s'appelle Aline Finkielkrout (toute ressemblance avec des personnes existantes est fortuite) qui veut que la féminine continue de l'emporter sur la mascouilline. Et toutes ces femmes justifient l'oppression des hommes par des trucs naturalistes : “on fait les enfants donc on est supérieures” (d'ailleurs, on voit que ça marche mieux). Et donc, je vais vous emmener dans des mondes inversés. C'est une façon cathartique de pouvoir s'imaginer ce que ça pourrait faire et de créer de l'empathie pour les femmes. Même si c'est pour de fausse pendant une heure et demie, on souffre pour les hommes alors je ne fais rien, je n'en prends aucun sur scène pour l'humilier alors que les femmes subissent vraimente ça, mais depuis 100 000 ans, et pour de vrai. Ça permet de se dire, ah ouais, ce n'est pas normal, c'est l'objectif.


J'ai rencontré des femmes en Chine qui connaissent l'histoire de Blanche Neige


Donc dans Contes à rebours, vous revenez sur les contes qui ont bercé l'enfance de la plupart des jeunes. Pour vous, en quoi la littérature jeunesse façonne nos imaginaires ? Et pourquoi reprendre ces histoires sous un angle féministe ?


Toutes et tous pratiquemente on a vu des Disney. Et puis on a étudié les contes à l'école, puisque c'est au programme en primaire, au collège et ça revient même parfois au lycée. Les Perrault, les Grimm, les Andersen, etc. C'est un imaginaire commun qui nous rassemble puisque les contes, a priori, tout le monde voit un petit peu. Et d'ailleurs dans tous les pays du monde, pratiquemente. J'ai pu rencontrer des femmes en Chine qui connaissent l'histoire de Blanche Neige. Donc ça rassemble et comme d'habitude, ça sert à faire passer des messages misogynes de propagande. Je m'en sers pour faire exactemente l'inverse et nous rendre nos imaginaires. C'est pour ça que j'ai voulu travailler là-dessus.


c'est pour les femmes seules que j'écris et que je joue


C'est un spectacle que vous avez pensé spécifiquement pour le jeune public ?


Non, pas du tout. Au départ, c'était une spectacle pour les adultes, en l'occurrence pour les femmes. J'ai l'outrecuidance de dire, à l'instar de Fanny Raoul en 1801 - une grande philosophesse, écrivaine, penseuse, journaliste politique de son époque - que personne ne connaît parce qu'elle a été effacée des livres d'histoire, “c'est pour les femmes seules que j'écris”. Si elle peut le dire en 1801, je pense que je peux le dire maintenante. Donc c'est pour les femmes seules que j'écris et que je joue


Les hommes sont autorisés dans la salle - des fois on fait en non-mixité, c'est aussi magnifique, ça me repose. Donc quand ils sont autorisés, c'est encore un privilège qu'ils ont d'y avoir accès. Et puis si certains en font des choses biennes, prennent les messages et sont moins pénibles pour les femmes autour d'eux, c'est magnifique. Mais en tout cas, moi, si je devais penser à eux, si je devais me dire qu'est-ce qui va les mettre en colère, qu'est-ce qui va les vexer, je n'écrirais rien parce qu'ils se vexent de rien. J'ai déjà vu un serveur pleurer parce qu'on lui a dit “nous, c'est pas mesdemoiselles, c'est mesdames”.


c'est l'alliance des opprimées qui fait plier le système oppresseur


Je me tape de comment ils vont le recevoir, ce que je veux, c'est faire passer des messages aux femmes, parce que je sais que dans toutes les luttes contre toutes les oppressions, c'est l'alliance des opprimées qui fait plier le système oppresseur quand elles sont en nombre suffisant. Les études disent autour de 30%, c'est même pas la moitié parce que c'est le maître qui a besoin de l'esclave et pas l'inverse. Vous avez remarqué au momente du Covid : les femmes font tous les boulots essentiels. Nous, on arrête de faire des trucs, tout s'écroule.


on va recommencer, j'aurai à peine le temps de pisser


Aujourd'hui, vous avez vraiment beaucoup de casquettes. Vous êtes autrice, comédienne, metteuse en scène, chroniqueuse média, formatrice et conférencière engagée. Comment trouvez-vous le temps d'allier tout ça ?


Mais on ne trouve pas le temps, donc on ne dort pas beaucoup. Là, vous voyez, je viens de finir de jouer et de donner un débat, je n'ai même pas fini de débarrasser la scène, je n'ai pas encore eu le temps de faire des balances avec la guitare, ni de l'accorder, et puis on va recommencer, j'aurai à peine le temps de pisser. Les artistes passent souvente pour des feignasses, et il n'y a rien de plus fausse.


Vous vous dites engagée pour différentes causes, que ce soit les droits des femmes, des enfants, des animaux. Quel lien vous faites entre vos engagements ? Est-ce que les mêmes mécanismes sociaux sont à l'œuvre ?


Exactemente, oui. D'abord, on a le même ennemi principal, comme dirait Christine Delphy. Les hommes agresseurs, avant d'agresser des personnes qui habitaient loin, donc de commettre des agressions racistes, ont commencé par agresser qui étaient déjà autour d'eux et donc les femmes, les enfantes et les enfants, et les personnes animales non humaines. Et puis on peut ajouter l'appropriation de la nature. A chaque fois, il y a une logique d'appropriation, d'objectisation en exploitant à la fois les femmes, les enfantes, les enfants, et les personnes animales non humaines, et la terre. 


Pour moi c'est les oppressions premières qui permettent toutes les autres, et c'est en se calquant sur ces oppressions “primitives”, qu'on peut ensuite opprimer des populationnes où on trouve aussi des hommes. C'est les oppressions qu'on retrouve partout sur la terre. 


Après la pièce que vous venez de jouer, Contes à rebours, il y a eu un temps d'échange avec les élèves de lycée. Vous avez parlé de votre engagement pour l'abolition de la prostitution. C'est une thématique qui est débattue à l'intérieur même des milieux féministes. Alors pourquoi cette position ?


Elle n'est pas vraimente débattue à l'intérieur des milieux féministes. Je ne pense pas que féministe, ça veut dire tout et n'importe quoi. Si on est pour un système d'exploitation et de violences sexuelles tarifées, on n'est pas féministes pour moi. Je comprends que ça choque, puisque évidemmente, l'officiel mouvement féministe est divisé sur cette questionne. Mais en faite, moi je suis sur le terrain là. Si la prostitution c'était féministe, les hommes seraient contre. Voilà.


on ne respecte de règles que menstruelles


Vous êtes notamment l'inventrice de la langue à la féminine universelle. La féminine universelle, c'est quoi ? Et est-ce que vous avez aussi écrit un panel de règles grammaticales, comme on peut retrouver pour le masculin universel qu'on utilise ? 


Edition Libertalia, editionslibertalia.com

Alors, je me suis amusée à écrire une manifeste de la féminine universelle qu'on peut trouver sur mon site internet et qui est sortie dans un livre, Droits humains pour toutes et tous. Mais elle n'y a pas de règles fixes ou une nouvelle académie. J'ai l'habitude de dire qu'on ne respecte de règles que menstruelles et souvente des femmes m'écrivent en disant je suis désolée je ne maîtrise pas totalemente la féminine universelle. Mais en faite, d'abord, personne ne peut la maîtriser, parce qu'elle est libre précisémente. Elle est indépendante et autonome, elle évolue, elle s'enrichit des trouvailles de chacune, elle s'approprie de mille manières. 

Et puis, d'autre part, on ne peut pas faire de fautes, sauf sur “femmage” (prononcée fammage). C'est un mot que j'ai inventé, et j'ai appris d'ailleurs que plusieurs féministes l'avaient inventé de leur côté avante. Je veux qu'on dise une femmage et qu'on entende femme, et pas un femmage. Mais à part ça, à partir de la momente où ça va dans le sens de l'émancipationne des femmes, dans notre intérêt, alors chacune peut s'en saisir comme elle la souhaite et comme elle y parvient. Et surtout dans les momentes où elle en a envie. Je ne l’utilise pas tout le temps. Je n'ai pas envie d'avoir des débats avec un mec dans la rue. 


on ne peut pas écrire une œuvre féministe avec une grammaire masculiniste


Vous nous disiez avoir créé la féminine universelle quand vous avez écrit Contes à rebours, Pourquoi avez-vous eu besoin de créer la féminine universelle pour ce spectacle ?


Au départ, je ne me suis pas dite “il faut que je travaille la langue”. J'ai d'abord voulu réécrire les contes de fées et je suis tombée sur cette première phrase “il était une fois”. C'est une fois qu'elle était et il y avait un mec qui voulait commencer mon bouquin et parader en tête. Ce n'était pas possible. Alors j'ai écrit “elle était une fois”. C'est comme si je tirais un fil d'une toile d'araignée infinie. 


Et d'autre part, parce que je crois qu'on ne peut pas écrire une œuvre féministe avec une grammaire masculiniste. Construire une pensée féministe avec des outils, des mots, des accords qui la détruisent. Donc, pour arriver à aller au bout de mes pensées, j'avais besoin de me réapproprier la langue de manière féminisée, d'une manière où on est, non seulemente, entendable, visible, mais en plus majoritaire.


la règle de proximité : les femmes et les hommes sont égaux, les hommes et les femmes sont égales.


Que pensez-vous de l'écriture inclusive dite “mainstream” ?


Alors l'écriture inclusive, c'est la moindre des choses. Déjà, on parle d'écriture, mais c'est aussi une parlure inclusive. C'est-à-dire que si je dis “bonjour à toutes et à tous”, on est dans la parlure inclusive. C'est juste l'idée de ne pas invisibiliser les opprimées, en l'occurrence les femmes. 


Après, on focalise beaucoup sur cette histoire de points médians à l'écrite. Les gens qui disent “Ah, illisible !” En vrai, c'est totalemente lisible, quelle mauvaise foi ! Si vous voyez “collégien·ne·s”, vous n'arrivez pas à lire collégiennes et collégiens ? Les gens me disent ça alors que quand vous voyez un “Mme”, tout le monde arrive à comprendre que c'est Madame. C'est beaucoup moins facile. Moi, souvente, les gens me disent “mais du coup, comment est-ce qu'il faut prononcer?”. Non, tu dis les collégiennes et les collégiens parce que c'est, à l'écrite, une propositionne d'abréviationne facultative si t'as envie de te faire chier à écrire les collégiennes et les collégiens mais fais-la. Donc déjà, cette focalisationne sur le point médian elle est débile, parce que si t'as pas envie de t'en servir, tu t'en sers pas, et qu'en plus c'est que à l'écrite. Et c'est aussi revenir à des choses qui existaient avante, comme je l'explique dans la spectacle, la règle de proximité : les femmes et les hommes sont égaux, les hommes et les femmes sont égales. C’est simple, on accorde avec le mot qui est collé à l'adjective. 


Et si on regarde les œuvres qu'ils n'ont pas réussite à totalemente dénaturer partoute, par exemple avec les alexandrins, s'ils masculinisaient, il y avait un pied en trop, ou alors ce n'était plus la bonne rime. Sur certains vers de Corneille ou de Racine, on voit que c'est l'accord de proximité. Il y avait aussi l'accord d'importance dans une énumérationne. Je veux donner de l'importance à un mot donc j'accorde avec celui-là. Il y avait aussi l'accord de choix, donc je choisis. Il y a des termes féminines, masculines, et du coup je choisis si j'accorde à la féminine ou à la masculine. Et puis, pour finir, il y avait l'accord de majorité, plus de femmes que d'hommes, on accorde à la féminine, basta. 


plus de femmes que d'hommes, on accorde à la féminine, basta


Donc c'est revenir à des choses qui ont existé l'immense majorité de la vie de la langue française. Et par ailleurs, on a une légitimité sémantique et historique à parler de manière plus égalitaire, puisque la langue française est équipée pour l'égalité, ce n'est pas le cas de toutes les langues. En revanche, même si la règle de la masculine l'emporte avait été là depuis l'Antiquité, je m'en tape, j'aurais quand même changé ça. C'est pas parce qu'un truc est vieux que c'est bien. Gérard Depardiable est vieux, c'est pas bien, il est accusé de viol.


Pour vous, quel est l'intérêt d'utiliser la féminine universelle plutôt que l'écriture inclusive ?


L'écriture ou la parlure inclusive, c'est quelque chose qu'on fait pour rendre visibles les deux sexes. Je la pratique dans plein de contextes mais en inclusive, la masculine l'emporte. ça me pose problème. On dit toujours “il s'agit de…La masculine fait toujours le neutre en inclusive. La seule chose, c'est que quand vous nommez des gens, vous nommez aussi des femmes. J'ai eu envie de faire autre chose même si c'est utile dans plein de contextes, je suis une artiste, je suis une littéraire et je vous signale que quand Pérec écrit un livre sans les E, tout le monde dit que c'est génial. En plus, il enlevait les E qui marque la féminine, super ! Quand Prévert écrit “elle pleut”, on dit que c'est un génie, un poète. Et même Nekfeu le rapper, - qui d'ailleurs est accusé de viol - quand il chante “Elle pleut”, pareil, génie. Quand moi je dis “elle pleut”, peine de mort. Il y a un deux poids deux mesures. J'ai voulu m'approprier la langue, faire entendre les femmes à la maximfemme. Par exemple, j'ai enlevé homme de maximum. Je ne fais pas de l'étymologie, je fais de l'art, de la littérature, et je fais de l'impertinence pertinente. C'est une manière pour moi de me redresser, d'exister dans ma propre tête, d'exister au monde, de faire rire les femmes aussi, de faire réaliser aux hommes ce que ça peut être. Ne serait-ce qu'une heure et demie pour de fausse, être invisibilisé dans la langue ou minimisé, alors que nous c'est pour de vrai, depuis 150 ans dans les usages.


les femmes sont invisibilisées ou minimisées dans la langue depuis 150 ans


Vous utilisez l'Histoire et les histoires pour expliquer des règles grammaticales sexistes. Quelles sont les réactions du public ?


Elles sont variables, parce que chaque personne est singulière, donc les publics ne sont jamais les mêmes, c'est la joie des spectacles vivantes. Donc elle y a un peu de toute. J'ai évidemmente une majorité de femmes qui viennent me voir. Là, c'était des lycéennes et des lycéens qui étaient forcés d'être là donc, c'était mixte. Plus je suis un peu reconnue dans les médias, plus les hommes se déplacent, les femmes n'ont pas attendu ça. Elles savent qu'on peut être géniale et pas connue. Et donc, évidemmente, elle y en a plein qui me disent déjà que la féminine universelle les redresse, leur fait de la bienne, qu'elles l'essayent et que ça fait quelque chose, ça surprend au début. Au fur et à mesure de la spectacle, c'est la première fois qu'elles existent dans la langue. Le langage structure la pensée, donc on pense différemmente. Par ailleurs, c'est une gymnastique cérébrale qui est bonne pour la cervelle, je sens que c'est pas mal pour lutter contre Alzheimer. 


la féminine universelle est une gymnastique cérébrale qui est bonne pour la cervelle, c'est pas mal pour lutter contre Alzheimer


Et puis d'autre part, sur Contes à rebours par exemple, elles me disent beaucoup, malheureusemente, que certaines reconnaissent leur propre histoire, celle de leur mère, d'amies, de sœurs, sur Cendrillon qui parle de violences conjugales par exemple, La Petite Sirène qui parle de viols et de mémoires traumatiques, Les Sept Filles de l'Ogre, ou Peau d'âne sur les violences pédocriminelles et l'inceste. Je me débrouille toujours pour qu'il y ait des passages émouvants, mais juste après, on rigole pour ne pas plonger. Je n'utilise pas les mots des agresseurs pour prendre soin des victimes, ne pas redéclencher des traumas. Quand j'en parle, je passe soit par la poésie, soit par le slam, soit par la métaphore ou alors je m'applique sur les stratégies, mais je ne décris pas des violences. Je sais trop ce que c'est d'être confronté à une mémoire traumatique qui se redéclenche. Ça les met enfin à leur vraie place, une place d'héroïne valorisée, valorisante. On est de leur côté, on est en empathie. 


"les femmes, les héroïnes, les victimes ont le droit à la colère, elles ont même le droit à la haine" (Andrea Dworkin)


Ca leur fait de la bienne aussi que je m'autorise la colère. C'est Andrea Dworkin, grande féministe américaine, qui disait les femmes, les héroïnes, les victimes ont le droit à la colère, elles ont même le droit à la haine. Nous, on est élevés pour aimer nos oppresseurs, voire nos agresseurs. Et en faite c’est non, on n’a pas à aimer qui s’essuie les pieds sur notre visages. Et ça les femmes, c'est tellemente interdite pour elles et moi j'en ai rien à taper. 


Franchemente, c'est pour ça que j'aime bien jouer devant des lycéennes et des lycéens, c'est qu'il y a toujours des lycéens qui font de la merde. Déjà c'est hyper drôle parce que comme ils ne sont pas très courageux, il suffit de les chuinter une fois puis on les entend plus. Et d'autre part, les filles voient, pour une des premières fois, une femme dont le positionnement physique, vocal, elle a pas peur, elle est en position de puissance, parce qu'évidemmente, je suis sur scène, j'ai un micro-casque, forcémente on m'entend plus. Et puis une femme qui ne cherche pas à leur plaire, qui s'en tape de leur déplaire, qui leur dit ça vous plaît pas, vous vous cassez, vous allez pas me manquer. Je m'en tape, moi, de faire de la prévention pour des types qui de toute façon sont déjà des agresseurs. Je n'espère qu'en votre mort, je m'en fous. Des fois j'ai été jusque là, parce qu'on sait très bien, lorsqu'on a des lycéennes et des lycéens en face, statistiquemente, il y a déjà des victimes dans la salle.


une petite fille sur cinq et un petit garçon sur treize seront victimes de violences sexuelles avant l'âge de 18 ans


Je rappelle qu'une petite fille sur cinq et un petit garçon sur treize seront victimes de violences sexuelles avant l'âge de 18 ans, c'est énorme. Donc là, il y avait plein d'enfantes et d'enfants qui avaient été victimes de violences sexuelles pédocriminelles et masculinistes. Et d'autre part, statistiquemente, il y a aussi des filles qui sont victimes de certains garçons qui sont là, et des garçons qui sont déjà agresseurs sexuels, voire violeurs. Et qui regardent de la pornographie donc ils se masturbent devant des viols en série. Ouais, des fois je leur rentre carrémente plus dedans. Là, ils n'ont pas osé parce qu'il y avait trop de filles extraordinaires et c'est importante de leur montrer qu'on n'a pas à faire allégeance. Après, les représailles sont énormes. Il faut avoir beaucoup de courage. Il ne faut pas se la cacher. Je ne suis pas capable de faire ça tout le temps mais les filles et les femmes me donnent tellemente de courage que ça va aller.


Vous parlez de l'académie française qui a changé la langue, qui l'a rendue plus masculine Est-ce que vous diriez qu'avant la création de l'académie française, la langue française était égalitaire ?


Elle était plus égalitaire, mais elle y avait quand même des soucis. Elle y avait déjà des mots qui ne voulaient pas dire la même chose. Un homme savant, c'est un homme qui a du savoir. Une femme savante - et c'est pour ça que Molière a nommé sa pièce comme ça - c'était des péronnelles, des meufs qui étaient des grosses stupides. Compère, ça veut dire mon ami. Commère, ça veut dire la meuf qui dit des potins. En faite, le problème, c'est que même quand la langue est équipée pour l'égalité, si vous changez le sens des mots, et comme les hommes ont le pouvoir de nommer, - comme la souligne Andrea Dworkin - la langue peut jouer quand même contre nous.


Compère, ça veut dire mon ami. Commère, ça veut dire la meuf qui dit des potins

 

Donc non, ce n'était pas parfaite du tout mais c'était beaucoup plus égalitaire dans la grammaire et dans la liberté qu'on avait. Les femmes parlaient comme ça leur venait. Donc Madame de Sévigné aurait dit “Heureusemente, heureuse, je la suis”. 


Parenthèse, un autre truc qui était bien quand même : l'orthographe n'existait pas non plus. Molière, il pouvait écrire quatre fois le même mot de quatre manières différentes parce qu'on écrivait en phonétique. Vous imaginez le nombre de temps qu'on perd avec cette merde. C'est aussi un truc de l'académie française, élitiste, pour distinguer, je les cite, “les hommes de lettres des pauvres d'esprit et des simples femmes”. Nous, on est après les pauvres d'esprit, mesdames. Les seuls qui vont avoir le temps d'apprendre ces règles débiles, ça va être les hommes dominants. Donc, on va les reconnaître sur un CV, etc. Il faudrait revenir à un monde sans orthographe. Je milite pour l'abolition de l'orthographe.


le temps qu'on perd avec cette merde d'orthographe


Lorsqu'on vous accuse de “dénaturer la langue française”, finalemente votre démarche ne serait pas plutôt une renaturalisation de la langue ou un ré-enrichissement ? 


Tout à faite, une renaturalisation comme on renaturalise des zones qui ont été bétonnées, bousillées par les patriarcapitalistes merdiques. Donc, c'est un peu ça, je sème et je m'amuse énormémente. 


La langue c'est aussi la source de nos imaginaires, est-ce que la féminine universelle est une solution pour s'ouvrir à de nouveaux imaginaires ?


Oui, elle ouvre des horizonnes de créationne, ça c'est clair. Par exemple, des fois je dit “la question” et puis d'autres fois je me dis c'est très féministe, on va l'appeler la questionne. Ça demande de s'interroger : qu'est-ce qui vaut la peine d'être féministé ? Par exemple, la clitoris, la vagine, la féminisme c'est assez évidente. Par contre, le fascisme toujours, on pourrait dire le verrue plantaire. En faite, tout ce qui nous emmerde tant que les hommes violent massivement les femmes, je propose que ce soit masculin. 


tout ce qui nous emmerde tant que les hommes violent massivement les femmes, je propose que ce soit masculin


Je veux créer cette armée sorore de résistance. Après on aura probablemente 2 ou 3 alliés, mais ce ne sera pas décisif. Il va y avoir 12 mecs et la majorité va falloir les faire plier de force et c'est pas grave, on va y arriver. 


Les générationnes d'après, ils comprendront que c'est vachemente mieux, parce qu'ils auront accès à l'empathie, la communicationne. Du coup... le bonheur, l'amour. Je pense que les hommes ne connaissent pas ça aujourd'hui. Si les mecs mascus de base n'ont pas d'empathie, donc ils n'ont pas accès à l'amour, c'est limite des morts vivants quelque part. Donc je pense qu'être un mec c'est de la merde aujourd'hui. Les générationnes d'après nous diront “ah mais merci, mais la vie de merde qu'ils avaient les autres mecs avant moi”. Mais oui, dans un premier temps, des types comme DSK ils n'ont pas envie que ça change parce que toute leur vie est bâtie sur le privilège, le droit de violer impunément les femmes. Ça on veut carrémente leur enlever. On ne souffre pas de ne pas violer des gens. On ne se dit pas “Merde, j'aurais bien violé ce matin !” On ne se dit jamais ça, ça n'existe pas. Ils seront dans le même état, donc ils se diront que c'était pourri comme objectif. 


des types comme DSK n'ont pas envie que ça change parce que toute leur vie est bâtie sur le privilège, le droit de violer impunément les femmes



Pour conclure, est-ce que vous auriez un dernier message à faire passer à nos lectrices et lecteurs ?


Je vous encourage à tester la féminine universelle, messieurs, à être minoritaire ou invisibilisé dans la langue. Regardez ce que ça fait. C'est ce qu'on subit pour de vraie. Mesdames, essayez pour prendre des forces, et puis pour rire, pour créer, parce que c'est belle. Et puis, à minima, parlez à l'inclusive s'il y a des femmes dans la pièce, elles doivent exister. Et si ça vous saoule de doubler tous les mots, vous parlez à la féminine. Vous dites “bonsoir à toutes”, vous allez voir s'ils se sentent concernés. 


Et sinon, je vous encourage à me suivre sur les réseaux sociaux ou les réselles sociales, comme j'aime à les appeler lorsqu'elles ne sont pas violentes. Parce que les masculinistes m'ont trouvé, donc si vous me trouvez aussi, c'est sympa : Typhaine D sur Instagram et Facebook. C'est un positionnement politique contre les patronymes. Je refuse de porter le nom de mes oppresseurs. Les femmes n'ont plus de nom, donc je m'appelle Typhaine D comme Dworkin, Delphy, De Beauvoir, enfin bref, elle y en a plein. 


personne n'a le droit de vous faire du mal


Sinon, vous êtes précieuses et personne n'a le droit de vous faire du mal. Si vous êtes un agresseur vous-même, si elle vous plaît, faites harakiri. Merci, bisous.


Entretien de Typhaine D réalisé par Lisa Giannarelli et Sixtine Schwarte


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