Éducation & Démocratie font-elles toujours bon ménage ?
- Jean-Luc Wertenschlag
- 11 sept.
- 7 min de lecture
La Maison de la Pédagogie invite Jean-Pierre Véran à Mulhouse les 7 et 8 octobre 2025 pour une rencontre-débat autour de l'éducation et de la démocratie, et une matinée d'échanges sur l'éducation aux médias.
Écoutez l'entretien que Jean-Pierre Véran nous a accordé le 7 octobre 2025 :

Rencontres
Mardi 7 octobre 2025 – 18 h 30 à 20 h 30
📍 Collège Kennedy – 13 avenue Kennedy, 68200 Mulhouse (Tram : arrêt Mairie) Rencontre-débat ouverte à toutes et tous - inscription
Mercredi 8 octobre 2025 – 9 h à 12 h
📍 Collège Kennedy, Mulhouse Échanges autour des pratiques locales d’éducation aux médias et à l’information - inscription
Présentation
Depuis longtemps, dans notre société, l’éducation — et plus particulièrement l’école — est considérée comme l’un des piliers essentiels de la République. Elle a pour vocation de former des citoyens libres, responsables, capables de discernement et de participation éclairée à la vie publique dans une perspective démocratique.
Pourtant, aujourd’hui, on observe qu’en France comme dans de nombreux pays développés, la généralisation sans précédent de l’accès à l’éducation, la démocratisation relative de l’école et l’élévation du niveau scolaire n’entraînent pas mécaniquement l’essor de la culture démocratique. On fait même le constat de l'affaiblissement de la vie démocratique, de la montée du populisme, voire du regain de l’obscurantisme.
L’école n’est certes pas – et de loin – la seule en cause. Cependant ce paradoxe interroge profondément les finalités du système éducatif. Par ailleurs, l’essor fulgurant de l’intelligence artificielle et des réseaux sociaux bouleverse les modalités de production, de diffusion et de réception de l’information. Il remet en cause la qualité des savoirs transmis, l’accès à une information fiable, et jusqu’au statut même de la vérité. Or, ces éléments sont au cœur du fonctionnement d’une société démocratique, où le débat public suppose des repères partagés et des connaissances solides.
Dans ce contexte, l’enjeu est immense pour toutes celles et tous ceux qui ont la responsabilité d’éduquer les nouvelles générations : il s’agit de leur permettre de s’approprier non seulement des savoirs, mais aussi les outils de l’esprit critique, le goût du questionnement, la capacité à porter un jugement éclairé comme conditions du développement de l’agir collectif et de sa mise en œuvre dès et dans l’école.
C’est pourquoi la MPM a fait appel à Jean-Pierre VERAN, dont les écrits récents nous invitent à interroger la capacité de notre système éducatif à assurer la formation de citoyens capables de penser par eux-mêmes, sans lesquels il ne peut y avoir de démocratie vivante et durable.
Jean-Pierre VERAN interviendra en 2 temps :
Le mardi 7 octobre, de 18 h 30 à 20 h 30, dans une Rencontre-débat à partir des 2 questions suivantes :
que peut-on dire du rôle joué aujourd’hui par l’école dans l’éducation à la citoyenneté et à la formation de l’esprit critique ?
comment faire pour que l’esprit critique et la citoyenneté deviennent des enjeux éducatifs majeurs à l’école… et ailleurs ?
Le mercredi 8 octobre, de 9 h à 12 h, lors d’échanges sur les pratiques locales d’éducation aux médias et à l’information, dans et hors l’école, à partir question : comment ces pratiques contribuent-elle à la formation de l’esprit critique et à l’éducation à la citoyenneté ?
Intervenant : Jean-Pierre VERAN
a été professeur de lettres, inspecteur d'académie chargé des établissements et de la vie scolaire.
depuis lors, particulièrement engagé sur les questions éducatives, il est membre du CICUR (Collectif d'interpellation du curriculum).
co-auteur de plusieurs ouvrages, dont Oser une école de la culture commune - Savoir et agir pour faire société co-dirigé avec Régis MALET (Berger-Levrault, 2025) https://www.berger-levrault.com/app/uploads/sites/2/2024/12/cp-oser-une-ecole-commune.pdf
Voir aussi maisondelapedagogie.fr
La Maison de la Pédagogie de Mulhouse est une association de droit local créée en 2015. C'est une structure indépendante à but non lucratif qui fonctionne sur la base du bénévolat. C’est un espace d'information, d’échange et de réflexion à l’échelle locale, autour de la pédagogie, de l'école et de l'éducation. Elle se situe dans la mouvance de l’Éducation nouvelle (dont font partie notamment les pédagogies Freinet, Montessori, Decroly…) et plusieurs mouvements pédagogiques aujourd'hui regroupés dans le Collectif "Convergence(s) pour l'Éducation nouvelle". La MPM propose des rencontres-débats autour des questions pédagogiques et éducatives d'actualité, animées par des spécialistes reconnus et ouvertes à tout public. Elle fait aussi connaître des initiatives pédagogiques et éducatives locales avec lesquelles elle est en lien, mais aussi des expérimentations aux échelles nationaleset internationales. Son ambition, à travers ces rencontres et ces échanges, est d’agir dans l’école et hors l’école, en faveur d’un service public d'éducation digne de ce nom en réseau avec l'ensemble des structures locales, étant entendu que, pour la MPM, la finalité de l’éducation est de contribuer à l’émergence d’un monde durablement habitable, plus juste, plus solidaire, plus humain.

L’EMI, otage de la politique des savoirs
Un texte de Jean-Pierre Véran paru dans la lettre info du CICUR, mars 2025
En ce mois de mars, se tient la 36e Semaine de la presse et des médias dans l’école organisée par le Clémi [1]. C’est une opération nationale phare d’éducation aux médias et à l’information (EMI) menée chaque année dans des écoles, collèges et lycées. Pour 2025, la question posée est « Où est l’info ? ». Question on ne peut plus opportune.
En effet, tous les repères se brouillent. Avec les tenants de la « post-vérité » ou des « vérités alternatives », certes, mais aussi avec l’infotainement qui mêle information et divertissement, avec l’essor des réseaux sociaux dépourvus de modération (après X, Méta – Facebook, Instagram, WhatsApp… – vient de renforcer ce recul de l’exigence de vérité), avec l’apparition de nouveaux formats journalistiques (BD, podcasts, Twitch) et avec l’entrée en jeu de l’intelligence artificielle, se demander où est l’info est plus que jamais une urgence civique.
Cela devait sans doute être au cœur de la formation scolaire de tous les jeunes, afin de les aider à entrer dans un monde d’incertitudes grandissantes et de transitions complexes, où la démocratie est menacée par des forces redoutables qui ne sont pas seulement militaires, armées, mais aussi des empires économico-médiatiques, d’un côté comme de l’autre de l’océan Atlantique.
Répondre à la question « Où est l’info ? » demande du temps, un long et régulier apprentissage. Si l’on veut effectivement éduquer à l’information et aux médias les nouvelles générations, il est indispensable que l’on fasse du savoir s’informer et du savoir informer une pratique continue, qui seule va permettre à chacune et chacun de faire l’expérience de la nécessité vitale de vérifier ses sources d’information, de distinguer l’angle de traitement des faits choisi, de choisir en responsabilité à l’égard du collectif son propre angle lorsque l’on se prépare à intervenir sur un réseau social, une webradio ou une webTV, un journal en ligne. Éduquer aux médias et à l’information passe aussi par la pratique sur le temps long de l’écriture médiatique. C’est ce qui se réalise au long cours et avec succès dans certaines classes -médias, dans des clubs journal, radio, ou TV.
Mais quelle est la réalité tangible pour l’ensemble des élèves de ces apprentissages fondamentaux [2] ? La Semaine de la presse et des médias à l’école a, par exemple, dans une académie, concerné en 2024 20% des écoles et 80% des collèges et des lycées. Cela signifie que 80% des écolier(e)s et 20% des collégien(ne)s et lycéen(ne)s sont passés à côté de la Semaine de la presse et des médias et que les autres ont conscré quelques heures d’une semaine sur les 36 que compte l’année scolaire à l’éducation aux médias et à l’information. Cette priorité martelée par tous les ministres successifs depuis des décennies est assurément bien plus ancrée dans les discours officiels que dans l’expérience scolaire des élèves.
En janvier 2015, l’attentat contre Charlie Hebdo avait suscité une mobilisation particulière du ministère de l’éducation nationale qui avait appelé « au développement des médias scolaires, radios, blogs, journaux dans chaque collège et lycée [3]». Dix ans plus tard, cet objectif est loin d’être atteint. En janvier 2022, une circulaire ministérielle proclamait la « généralisation de l ‘éducation aux médias et à l’information [4] ». Nous en sommes fort loin. Faut-il le regretter ? Sûrement ! Peut-on s’en étonner ? Certainement pas.
Se demander pourquoi plus de croyants que de pratiquants en éducation aux médias et à l’information dans l’école française[5], c’est nécessairement en venir à questionner la politique des savoirs en œuvre dans notre école. Elle repose sur des choix de sélection et de hiérarchisation des savoirs scolaires qui conduisent toute démarche éducative à demeurer marginale, le cœur des enseignements étant réservé à des matières scolaires soigneusement hiérarchisées elles aussi, entre les « fondamentales » et les autres. Aux emplois du temps des élèves et des professeurs, les enseignements disciplinaires, définis par des programmes qui se veulent « exigeants », laissent une place très réduite à des démarches d’apprentissages échappant au strict cadre disciplinaire. L’éducation aux médias et à l’information dérange la politique des savoirs établie, cloisonnée en matières d’enseignement étanches, sans espace ni temps disponible pour envisager aisément de véritables démarches mobilisant de multiples domaines du savoir, démarches indispensables à l’acquisition d’une culture commune par tous les élèves.
C’est cet ordre scolaire figé qu’il faut repenser si l’on veut enfin sortir des éducations trop souvent en trompe l’œil de notre école, comme nous y incite le CICUR. « Où est l’info ? » est sans nul doute une question vitale pour la formation de l’esprit critique de tous les élèves. Mais se demander où en est vraiment l’éducation aux médias et à l’information est une occasion d’interpeller le curriculum français dans une de ses insuffisances et de ses contradictions les plus manifestes.
[1] https://www.education.gouv.fr/semaine-de-la-presse-et-des-medias-dans-l-ecole-5159La semaine de la presse et des médias dans l’école est organisée par le Clémi https://www.clemi.fr/actions-educatives/semaine-de-la-presse-et-des-medias
[2] On reprend ici à dessein un expression ministérielle galvaudée qui réduit abusivement les « fondamentaux » au « lire, écrire, compter ».
[3] Dans le cadre des « Onze mesures pour une grande mobilisation de l’École pour les valeurs de la République [22 janvier 2015] ».
[5] Question posée dans Oser une école commune Savoir et agir pour faire société, Jean-Pierre Véran & Régis Malet (dir.) Berger-Levrault, collection Au fil du débat Etudes, 2025. Dans la sous-partie 3, « Littératies et pratiques numériques Des ressources pour construire du commun», les chapitres 8 et 9 explorent la situation en France : « Pratique des médias scolaires : changer la donne pour les élèves et les enseignants » ; et en Europe du Nord : « Faire du commun par la citoyenneté et l’éducation au numérique ».












